Le 20 octobre,
La nuit a été bonne, mais je remarque tout de même que ma cheville douloureuse est désormais enflée. Ce n'est vraiment pas le moment qu'elle me lâche! Je perçois également que ma gorge est sèche et elle aussi, pas au top de sa forme.
Dans les rues de Jomsom, la poussière est déjà partout, et s'immisce dans ma chambre. Une pellicule blanchâtre sur la table de nuit me saute aux yeux. Après avoir réuni mes vêtements, je jette un rapide coup d'oeil autour de moi. Cette chambre était la bienvenue, je ressens comme un sentiment de gratitude à l'égard des personnes qui l'entretiennent.
Mohan m'attend dans la salle du petit déjeuner. Il paraît plutôt détendu par rapport aux derniers jours. Sans doute que notre discussion de la veille devant un verre d'alcool de millet en est pour quelque chose.
Après le petit déjeuner, nous endossons péniblement tout notre attirail, puis, nous poussons la porte qui donne sur la rue. La réalité refait surface. Entre pollution, poussière, bruits, et mouvements, je retrouve le décor de la veille.
Je laisse Mohan me devancer, j'ai envie de marcher seule. Il me reste 4 jours avant d'arriver à Pokhara, et le temps du bilan va bientôt s'annoncer. Ouf.
Je me dis que cette nature est vraiment hostile et peu accueillante. Je traverse des villages fantômes, en prenant le temps de regarder l'architecture des maisonnettes. "Architecture" est un bien grand mot...Des sortes de cabanons bleus et blancs, aux toits écrasés par des couches successives de bûches. Il semblerait que cette manière d'entreposer le bois a un rôle majeur à cette altitude. De par leur poids, les rondins permettent de retenir la tôle sur les murs (en cas de grand vent, c'est mieux!).
Nous nous trouvons sur le vieux sentier des Annapurnas. Depuis la création de la piste pour les véhicules plus aucun touristes ne passent ici. Nous ne croisons que des villageois, il n'y a pas foule.
Mohan et moi traversons parfois des ponts suspendus pour rejoindre la piste, et inversement. Les rares personnes que je croise, attisent en moi une profonde compassion. Quelle force les pousse à rester dans ces coins reculés du Népal. De quoi vivent-ils? Une autre forme de misère, celle que je découvre dans le regard de ces gens.
Il fait froid, mais le soleil pointe derrière ce rideau de poussière permanent. Mohan souhaite s'arrêter pour déjeuner, et m'informe que nous repartirons demain matin pour la suite de notre aventure. Il semble connaître un lieu pour dormir. Il n'est que midi, et je sens déjà naître ma frustration. "S'arrêter? mais pour quoi faire? Il n'y a rien ici".
Alors que je termine ma noodle soup, Mohan envisage un après midi repos et sieste. Dans un premier temps, je me résigne...mais très rapidement, je me dis que nous pourrions descendre davantage. Je garde en tête la difficulté de trouver un endroit pour dormir, mais cette fois-ci, pour des raisons différentes. Il n'y a que très peu de lodges de ce côté des Annapurnas.
Mohan accepte sans difficultés, nous repartons.
Une petite heure après, alors que nous déambulons à nouveau sur la piste, freinés par la poussière, je me rends compte que mes maux de gorge s'aggravent : un goût étrange dans ma bouche, un goût de sang. Un énième camion me frôle à vive allure, me faisant disparaître derrière les fumées nauséabondes de son pot d'échappement.
Je m'arrête et appelle Mohan qui se trouve une dizaine de mètres devant moi.
Je suis épuisée de cette ambiance, et absolument pas prête à autant de sacrifices. Je suis en voyage, pas au bagne!
"Stop Mohan, on s'arrête maintenant, on fait du stop, on arrête de se sacrifier! En France on ne vit pas comme ça, on ne fait pas ça! Ca n'a aucun sens!!. On s'écoute, on se respecte, la souffrance n'est pas le seul repère, réagis Mohan".
J'ajoute sur le même ton : "tu vois un touriste ici, non, on n'est deux imbéciles qui marchons dans ce trou paumé...on arrête...tu prends du plaisir toi, non. Et bien moi non plus! "
Sans même que Mohan me réponde, sans même qu'il comprenne ce mot "plaisir", je lui répète que nous allons faire du stop. Mais il me répond que ce n'est pas possible, car il faut réserver le taxi. Personne ne s'arrêtera. Et en effet, personne ne s'arrête.
"Mais qu'est ce que tu attends Mohan, appelle, réserves!"
Il me répond naturellement, les yeux baissés comme un enfant que l'on fâche :
"Je n'ai plus de batterie".
Je sens mon corps s'alourdir, s'effondrer. Je suis décontenancée, je souffle et me dis que je suis épuisée de sa légèreté.
Nous poursuivons notre route jusqu'au village suivant : Larjung, où nous trouvons un lodge. Il fait froid ici, pas d'eau chaude, pas de cheminée, pas de ....Bref, rien quoi. Je suis dans le rien. Et Mohan, assis en face de moi, me regarde sans dire un mot. Je le sens compatissant, prêt à me faire plaisir. Il attend que la solution vienne de moi, ou des Dieux?
Je m'adresse à nouveau à lui : "Mohan, il faut que l'on fasse le point."
Il me répond en souriant : "tu veux aller au petit coin?"
Gros moment de solitude... "Non Mohan, réunion, on se parle, ça ne va pas. On prend un taxi jusqu'à Ghasa, et on se tire de là".
Il ne sait plus quoi faire, alors il tente de répondre à toutes mes interrogations sans trop réfléchir.
Au bout de plusieurs minutes d'échanges et un appel à Bhim, un taxi est enfin réservé pour demain matin 7h. Nous gagnerons quelques heures de marche sur la suite du parcours. C'est déjà ça!
Ce soir, je suis à plat. Après une assiette de pâtes absolument immonde, je m'enroule dans mon duvet dont l'odeur m'insupporte.
Encore une journée un peu galère. Demain sera meilleur. Bonne nuit.