Le 14 Octobre,
Je me suis réveillée ce matin très tôt, alors qu'il faisait encore nuit. Sortie de mon sommeil par les ronflements indescriptibles de mes voisins de lit...Quand même, cette scène est surnaturelle pour moi. Jamais je n'aurai pensé dormir avec 3 indiens dans une aussi petite pièce, et vivre un tel cauchemar sonore et odorant!
C'est étonnant comment mon esprit s'est accroché à d'autres détails pour mieux vivre l'instant. Zapper, déconnecter, nous avons tous un potentiel pour nous dissocier de l'absurde. Comme un instinct de survie, l'esprit s'égare. Le corps est ici, la conscience est ailleurs. Je sais que c'est le même processus lorsque l'on vit un choc, un trauma. Beaucoup de témoignages et d'études ont été faites à ce sujet. Quand le présent est insupportable, l'esprit s'évade. Et c'est ce qu'il s'est passé cette nuit là.
Comme je le disais, je me suis rattachée à des choses familières. Les voix de 3 français dans la chambre d'à côté. J'ai pensé dans un premier temps, à déménager pour leur demander l'hospice, mais il était tard, et blottie au fond de mon duvet, je n'ai pas eu le courage. J'y ai pensé, c'est vrai, mais je suis restée immobile.
Néanmoins, le simple fait de les entendre parler, rire et raconter un certain nombre de conneries, m'a réconforté. Les écouter jusqu'à ce que le sommeil m'accueille, comme un enfant qui écoute la petite histoire du soir afin de voyager dans le monde chimérique.
Au petit matin, j'ai attendu que les trois indiens quittent la chambre, pour enfin sortir de mon duvet et m'habiller. Remettre encore et toujours ces vêtements mouillés et puants...Je ne me vois pas, mais je pense avoir la tête des mauvaises nuits. C'est décidé, je ne veux pas revivre la même expérience la nuit prochaine. A nouveau, je renonce à l'ascension jusqu'au camp de base. C'est frustrant, mais je suis en phase avec ma décision.
Une fois mon paquetage refait, je me rends dans la grande salle à manger du lodge, où je retrouve Mohan. L'air soucieux, il me regarde. J'ai le sentiment qu'il craint ma réaction. Il se trompe, je ne suis pas dans la réaction, je ne lèverai donc pas le ton.
Devant mon black tea, je fais la connaissance de mes voisins français qui m'ont tenu, sans la savoir, compagnie cette nuit. J'ai souhaité les remercier de m'avoir sorti de mon grand moment de solitude. Ils avaient vraiment l'air sympa ces trois potes. Mon approche les a étonnée, mais c'est aussi une façon de rencontrer "l'autre" que de dire merci.
A 7h30 du matin, nous quittons donc Bamboo pour redescendre. Ce qui est vraiment gênant dans ce parcours, c'est que nous sommes désormais à la recherche d'un lodge dès 11h du matin. Ce n'est vraiment pas top. Après 3 refus consécutifs, nous trouvons finalement un endroit pour dormir vers 14h. Nous sommes à Chomrong. Je profite de ce lieu agréable, et d'une chambre avec une douche chaude, pour me détendre. Malgré une hygiène approximative, je prends plaisir à me doucher. J'ai lavé 2 ou 3 fringues qui ne sécheront probablement pas, mais il fallait le faire, c'était horrible l'odeur. Puis je me suis offert le luxe de la wifi. Entendre mes enfants, qu'est ce que ça fait du bien!
Comment je me sens : blasée, un peu agacée par le manque d'initiative de Mohan, frustrée aussi. Dans mon corps? Je sens que ma peau est sèche, et pas hyper propre malgré la douche, je ne sens plus du tout mes douleurs de début de trek, je pense que mes muscles et mon squelette se sont habitués.
Emotionnellement, je crois qu'il y a un fond de tristesse. Pourquoi je n'arrive pas à monter plus haut, à marcher dans la neige, à rejoindre le camp de base? Je contemple le blanc des sommets, mais je reste dans le vert des forêts de la moyenne montagne.
Il est important que je me reconnecte à mon centre. C'est ce que je fais cet après midi en contemplant cet endroit, tandis que Mohan est parti faire une sieste. Je suis sur le toit du lodge, et la vue est sublime. Je retrouve mon calme et la paix intérieure. Ouf.
Soudain, qui je vois arriver???Guillaume et Matthias, les deux français ! Je suis tellement heureuse de les revoir ! C'est comme ci, malgré le froid qui s'est installé ici, je sentais un vent chaud se lever. La vie est géniale!
Hier, je me sentais seule dans cette chambre, et ce soir, je savoure ce moment convivial et réconfortant en très bonne compagnie. Nous trinquons tous les 3 aux Annapurnas, à nos voyages, à nos rencontres, à la vie tout simplement.
Durant la soirée, nous avons beaucoup rit, nous avons même jouer aux cartes en dégustant des beignets de bananes. Improbable de se retrouver ici...Il n'y a pas de hasard!
C'est décidé, nous passerons les deux prochains jours ensemble, à marcher en direction du Poon Hill. J'en informe Mohan, précisant que nous suivront leur guide, Manoj, pendant cette période.
Comme toujours, Mohan est d'accord. Il sourit.
L'esprit libre, je m'apprête à vivre une très belle et agréable nuit.